Après 6 ans de conseil, des crises d’angoisse et des symptômes d’allergie alimentaire poussent Ambre à accepter qu’elle a profondément envie de devenir actrice. Je l’ai interviewée ; cette article reprend et restructure son témoignage.
 

Description du switch :

 
Avant : école d’ingénieur, consultante en systèmes d’information et organisation, salariée d’un cabinet de quelques centaines de personnes
Après : consultante à mi-temps, actrice à mi-temps
 

L’appel au changement :

 
Je ne me sentais pas épanouie ; j’avais l’impression de ne pas être libre, qu’on m’imposait ma vie. Je faisais des crises d’angoisses et j’avais des symptômes semblables à des allergies alimentaires (maux de ventre, difficultés à respirer, digestion très difficile…).
 

Chronologie du switch :

 
J’avais demandé un passage à temps partiel, qui m’a d’abord été refusé, j’ai donc annoncé que je quittais le cabinet. Ils ont alors accepté 3 mois de temps partiel en utilisant des congés sans solde. J’ai pris des cours de théâtre en cours du soir, 9h par semaine.
 
Au bout de 3 mois, j’ai croisé le directeur général qui m’a dit “ah, c’est fini vos 3 mois !” Je lui ai dit oui alors que je ne voulais pas et n’ai pas osé revenir sur ma parole. J’ai démarré une mission à temps plein, exigeante ; j’ai débuté des crises d’angoisse une semaine après avoir croisé le DG : je me réveillais la nuit et je n’arrivais pas à respirer.
 
J’ai entamé une psychothérapie ; je me suis aperçu que c’était parce que j’avais accepté de faire quelque chose que je ne souhaitais pas. Je craignais de vivre ma vie sans faire ce que j’avais envie de faire, et cela me rongeait : angoisses donc, allergies alimentaires…
Au début, j’ai nié la source de ce mal-être : j’ai pensé que c’était une maladie. Au fond, je savais que je voulais être comédienne ; j’avais honte de vouloir être comédienne ; une fille qui me dirait dans la rue “je veux faire comédienne”, je me serais dit “encore une fille qui veut être comédienne”. J’aurais eu envie d’avoir envie d’être PDG… J’ai toujours voulu que mes parents soient fiers de moi – sans même avoir reçu de pression explicite de leur part. Les soeurs de ma mère ont fait des études d’humanités pour devenir de bonnes épouses ; mon père est venu du Viet-Nam, sa mère est morte en couches. Je voulais réussir pour leur accorder une revanche sur la vie. Réussir avec un côté féministe : j’aurais voulu avoir envie de me confronter aux hommes, au monde.
 
Je n’ai désormais plus cette honte ; je suis devenue plus intéressante pour les gens, y compris pour des consultants, maintenant que je fais du théâtre en plus du conseil. Et désormais, je pense que je m’ennuierais dans un métier comme directrice générale, directrice financière…
 
Je suis allée voir plusieurs médecins, dont une cardiologue. Mes examens médicaux étaient normaux et les médecins ont tous pensé à de l’angoisse. Les symptômes allaient et venaient, je me trouvais des excuses. Entre le début des crises d’angoisse et ma démission, un an s’est écoulé. Mes crises ont décru pendant cette année, et ont connu un regain à ma démission – je pensais alors vivre la vie de galère d’une actrice débutante.
 
Après ma démission, je n’ai fait que du théâtre pendant les 6 premiers mois, et j’ai croisé par hasard un associé de mon ancien cabinet qui m’a proposé une mission en freelance. Les missions se sont ensuite enchaînées.
 

Les moyens du discernement :

 
Mon compagnon m’a toujours soutenu dans ma décision. Il m’avait incité à démissionner, et cela l’énervait que je ne pose pas ma démission.
 
Par ailleurs, je n’avais pas conscience des outils existants pour accompagner les transitions. Je ne savais pas qui contacter ; je ne savais pas trop si ça aboutirait ; j’avais peur de voir des choses que je ne voulais pas voir. Comme j’avais des symptômes physiques, j’ai cherché une psy sur Internet. J’en ai choisi une au hasard ; elle m’a proposé une psychanalyse classique. Cela m’a aidée. Au fur et à mesure, j’ai compris certains de mes mécanismes de réaction : des pressions que je me mettais au vu du parcours plus modeste que mes parents, des peurs de manquer d’argent qui sont objectivement peu fondées compte tenu de mon diplôme… et beaucoup d’autres peurs venant d’événements de mon enfance. Ce fut également l’occasion de découvrir des pratiques ayant cours au sein de ma famille et qui diffèrent des autres familles. J’ai désormais moins de colère et plus de recul par rapport à ma famille, et cela m’a aidé à m’accepter moi-même.
 
Je pense que c’est important d’être accompagnée par une personne extérieure. Je pense qu’il y a beaucoup de personnes qui n’osent pas se lancer et qui oseraient si elles investissaient dans un accompagnement. Le directeur financier d’un grand énergéticien a regretté de n’avoir pas réussi à refuser des postes prestigieux au profit des petites structures qui le passionnent.
 

Mes envies profondes :

 
J’avais envie de faire de l’art et du théâtre, envie de liberté, envie de ne pas avoir de regrets. Je pensais avoir des enfants et je ne voulais pas leur faire vivre ce regret. Je préférais essayer, quitte à me planter, mais au moins être sûre que j’avais essayé.
 
Ce choix m’a conduit à renoncer à une carrière. J’avais déjà pesé financièrement sur mes parents en refusant une école qui offrait une rémunération ; je craignais que mes parents soient déçus par ce nouveau choix surprenant.
 

Mes peurs initiales :

 
Ma décision a été retardée par des perspectives financières limitées : je ne souhaitais pas profiter du chômage, et je ne souhaitais pas peser financièrement sur mon partenaire alors même qu’il m’avait proposé de m’aider. J’ai demandé à mon employeur de travailler en freelance, ce qui a été refusé dans un premier temps. J’ai fini par prendre la décision de démissionner et de vivre la vie précaire d’artiste – ce qui me déprimait : je me sentais en bas de l’échelle sociale.
 

Ma décision :

 
Au fond, ma décision a été de me donner la chance de faire ce que je souhaite faire.
 

Ma source de revenus :

 
Comme consultante freelance, je facture actuellement à 950€/jour. Je travaille 8-9 mois par an à mi-temps et gagne 90 000 à 100 000 €/an, soit le niveau de salaire que j’aurais en étant resté salariée à temps plein jusqu’à aujourd’hui. Notons que je suis indépendante et ne cotise pas à la retraite.
 
Je n’avais vraiment aucun avantage à rester salariée plutôt qu’indépendante. Par ailleurs, cet argent me permet de financer mes court-métrages.
 

Vu d’aujourd’hui :

 
Depuis que je partage ma vie entre théâtre et conseil, j’ai le sentiment d’être libre : je choisis mes types de missions, mes clients, et mes clients acceptent mes contraintes. Je suis à mi-temps, avec une demi-journée de travail à distance. Je m’éclate au théâtre.
La décision de tout arrêter pour le théâtre m’a permis de gagner énormément confiance en moi : je négocie mes contrats, mon salaire…
 
Je ne regrette absolument pas mon choix !
 
 
Note : les éléments nominatifs ont pu être modifiés.